By Anne-Laure Hérout | Publié le 12.03.16
Événement majeur du photojournalisme, le prix du 59e World Press Photo est toujours fortement attendu par les photographes reporters, les professionnels du genre mais aussi les passionnés et amateurs de photographie. Le lauréat 2016 a ainsi été dévoilé le 18 février dernier et, avec lui, la tendance actuelle en matière de photoreportage.
L’actualité 2015 avait été extrêmement chargée et variée : crise des migrants, guerre au Moyen-Orient, attentats de Paris. À côté de l’actualité, nerf même de ce prix, figurent des catégories plus classiques de la photographie, comme la nature, les portraits, le sport… Les propositions du World Press Photo englobaient ainsi cette année 41 thématiques différentes.
C’est la photo du photojournaliste indépendant australien Warren Richardson qui a emporté les faveurs du jury, avec son image L’espoir d’une nouvelle vie, saisissant le passage, par des migrants, de la frontière entre la Hongrie (Röszke) et la Serbie (Horgoš) à la fin du mois d’août 2015.
« L’espoir d’une nouvelle vie »
Warren Richardson, lauréat du 59e World Press Photo
Premier prix, photo de l’année. Un homme tente de faire passer un bébé à travers la frontière séparant la Hongrie de la Serbie, le 28 août 2015. « Je campais avec des réfugiés depuis cinq jours lorsqu’un groupe de 200 personnes est arrivé. » raconte le photographe. « Ils ont commencé à essayer de traverser la frontière, en tentant d’échapper à la police. Ça a duré plusieurs heures. J’ai pris cette image vers trois heures du matin, sans flash, pour éviter d’attirer les forces de l’ordre. » © Le Monde.fr
Un thème consensuel
Le choix de cette photographie n’est pas très surprenant et a été salué par beaucoup. Francis Kohn, président du jury et directeur de l’Agence France Presse, revendique lui-même l’aspect classique de cette photo représentant le sort dramatique des réfugiés, par la simplicité de sa composition mais mentionne également la force qui s’en dégage (la symbolique des barbelés, le choix du noir et blanc).
Il semble également bienvenu de voir dans le choix de cette photographie, la volonté du jury de ce prix, de faire oublier la polémique soulevée par celle recomposée l’année dernière. La photographie très esthétique du DanoisMads Nissen, prise à Saint-Pétersbourg pour traiter de l’homosexualité en Russie, avait défrayé la chronique. L’absence de tragique, le certain positivisme même qui ressort de cette image en avait laissé un grand nombre dubitatif, estimant qu’il s’agissait d’un thème secondaire par rapport aux guerres qui sévissent au Moyen-Orient ou encore en Ukraine.
Un retour à la tradition
Si le thème retenu est plus que légitime et fait l’unanimité au sein de la profession, le choix même de la photographie de Warren Richardson est quant à lui plus audacieux. La préférence donnée à une image en noir et blanc tranche radicalement avec les lauréats de la dernière décennie où la couleur prédomine, faisant ainsi l’apogée de l’ère numérique, et dont les différents prix photographiques se faisaient l’écho. En sélectionnant cette photographie comme image de l’année, le jury du World Press Photo fait une sorte de clin d’œil aux années 1970, âge d’or du photojournalisme en bi-couleurs.
Le flou, délibérément choisi par le photographe australien, est un aspect technique qui a grandement frappé le jury. Dans toute sa série, principalement réalisée de nuit, Warren Richardson a abondamment eu recours au flou, comme marque purement esthétique et non comme limitation technique tel que ce fut le cas pendant de nombreuses années, faute d’appareil photographique assez sophistiqué. Pour cette série et dans cette photographie « L’espoir d’une nouvelle vie », l’usage du flou sert et renforce le propos : l’insécurité et l’urgence de la situation, la peur et la précipitation du moment.
La nomination d’une telle image est également un pied de nez aux photographies retouchées, abondantes aujourd’hui. Après une polémique qui secoua grandement le monde de la photographie en 2013, le jury du World Press Photo tenait à rappeler que le travail d’un photoreporter n’est pas dans la postproduction mais dans l’instant et qu’une photographie ne peut être recadrée ou certains éléments gommés. Il a ainsi fait le choix, depuis deux ans, de demander à tous les participants de faire parvenir leurs fichiers numériques originaux au format « raw », afin d’observer les modifications apportées à la photographie originale. Le constat est sans appel : 1 photo sur 5 – soit 20% des photographies reçues – ont ainsi été écartées de la sélection pour modifications excessives.
Le World Press Photo signe avec cette « photo de l’année 2016 » un retour à la tradition avec une image simple, aux signes évocateurs et à la symbolique forte, qui n’est pas sans rappeler celle du petit Aylan Kurdi (prise par Nilüfer Demir, une jeune photographe turque de 29 ans) qui fit le tour du monde en septembre 2015 et permit la prise de conscience occidentale de la tragédie humaine en train de s’écrire (n’est-ce pas d’ailleurs cette photographie précisément qui aurait dû recevoir le prix ? La question mérite d’être posée).
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