Une belle exposition, sur une figure historique de la photographie, a ouvert ses portes en province, au sein du « Point du Jour, Centre d’art Éditeur » situé à Cherbourg en Normandie, lieu entièrement dédié à la photographie.
By Anne-Laure Hérout | Publié le 29.06.2016

Pour son exposition d’été, le Point du Jour a donc choisi de mettre à l’honneur un personnage emblématique de l’Allemagne des années 1920, considéré comme un des pères de la photographie documentaire, le photographe August Sander (1876-1964) qui consacra une grande partie de sa vie à son projet monumental de classification des métiers qu’il nomma « Hommes du XXe siècle ».
Projet d’une vie qui marqua grandement les sciences humaines, cette exposition, à travers quatre séries, fait la part belle à ces portraits représentatifs des métiers et milieux de l’époque, ainsi qu’aux artistes de l’Allemagne du début du XXe siècle présentés ici en corollaire de leurs œuvres, mais également à une partie moins connue du travail du photographe, celle de la photographie familiale, à travers des albums de famille dont certains des clichés exposés sont inédits, et la photographie de paysage, qui l’influença grandement et qu’il ne cessa de pratiquer.

De la photographie privée…
L’exposition débute par la série consacrée aux albums de famille d’August Sander. À travers ces portraits de sa femme et de ses enfants, réalisés dans le respect des standards l’époque que trahissent les poses étudiées et élégantes, c’est aussi bien l’image d’une famille bourgeoise cultivée, statut social dont August Sander a pu accéder grâce à ses études et sa pratique de la photographie, que les étapes et bouleversements de son histoire personnelle que nous conte l’artiste.

La première des photographies présentées figure la rue de son premier studio photographique en Autriche, rue de Linz, où il s’établit en 1901, avant que n’apparaissent des clichés pris en Allemagne, à Cologne, où il s’installa à partir de 1910 et qu’il quitta en 1944, à la suite de la mort en prison de son fils aîné, Erich, dix ans après son arrestation en 1934 par le régime nazi.
Pour clôturer cette première série, l’autoportrait de l’artiste, réalisé en 1925 et accompagné de la simple légende « photographe », qui inaugure son célèbre projet monumental « Hommes du XXe siècle » pour lequel les légendes, identiques à celle de son autoportrait, mentionneront uniquement la profession ou la situation sociale des individus photographiés.
C’est la photographie de paysage qui est à l’origine de la vocation de photographe d’August Sander et c’est pourtant la partie la moins connue de son travail. Cette seconde série figurant les Sept-Montagnes, située près de Cologne, est l’une des six séries qu’il consacra à six régions d’Allemagne et celle qu’il appréciait le plus.

Il y présente également un second autoportrait contemplant ces montagnes, réalisé vers 1941, à la dimension hautement romantique, mais marquant également l’ancrage d’un homme dans son environnement, définition même de son projet « Hommes du XXe siècle » qu’il résumait par ces mots en 1927 : « voir, observer et penser ».
… à la photographie documentaire
Initié au début des années 1920, ce projet monumental occupa la plus grande partie de la vie du photographe, et est aujourd’hui considéré comme la première étude sociologique d’une époque. Est présentée dans cette exposition, la série qui composa l’ouvrage « Visage d’une époque » publié en 1929, réunissant soixante portraits.

August Sander souhaitait montrer un tableau général des hommes de son temps et de la société allemande en les classant par métiers ou milieux. À travers un style résolument neutre, proche de la technique scientifique, mais non dénué de variantes (nombre de modèles multiples, fond neutre ou non…), August Sander réalisa près de sept cent portraits, répartis en sept groupes composés d’environ quarante-cinq portfolios.
Malgré l’emploi d’une technique neutre (photographie à hauteur d’homme, sans jeu d’échelle et de perspectives), l’expression des visages et des mains, ainsi que les attitudes trahissent l’appartenance sociale de ces centaines d’hommes et de femmes immortalisés par Sander, en évoquant des habitudes de travail et de manières de vivre propre à chaque corps de métier et milieu social.

Cette série de soixante portraits laisse également transparaître une évolution historique de la société allemande : le monde rural traditionnel du XIXe siècle, incarné par les premières photographies, disparaît peu à peu au profit de la société urbaine moderne, sans qu’aucun jugement de valeur ne soit porté par August Sander.
L’exposition se clôture par une des séries spécifiques de ce projet monumental, celle consacrée aux artistes. August Sander baigna très jeune dans le milieu artistique, par la pratique de la peinture puis de la musique, lien qu’il renforça à son arrivée à Cologne, où il rencontra de nombreux intellectuels et artistes d’avant-garde, dont il se lia d’amitié.

Sont présentés ici certains portraits de ses amis issus du groupe des « progressistes de Cologne », à l’exception de Raoul Hausmann, tous entourés de certaines de leurs œuvres, issues de la collection privée du petit-fils d’August Sander, Gerd Sander, co-commissaire de l’exposition. La diversité de ces œuvres, qui représentent des individus, des types sociaux et des scènes de conflits de manière minimale (apanage du mouvement progressiste), reflètent l’environnement culturel qui fut celui de Sander dans les années 1920-1930 et offrent un regard complémentaire aux portraits réalisés par le photographe.

Résolument historique, cette exposition rend hommage à l’œuvre de ce grand photographe réputé austère, à travers un parcours sensible ponctué de nombreux clichés inédits, qui articule vie privée et vie professionnelle. Fer de lance de la photographie documentaire, August Sander avec son projet monumental jamais achevé, marqua l’histoire de la photographie et inspira de nombreuses générations.
Exposition à voir au Centre d’art Éditeur Le Point du Jour jusqu’au 28 août 2016.
Entrée libre
Plus d’infos sur le site internet du Point du Jour