By: Anne-Laure Hérout | Publié le 05.08.2015
Le Palais de Tokyo, figure de proue de l’art contemporain à Paris, vous donne rendez-vous cet été avec la poésie en invitant Patrick Neu entre ses murs.
Vue de l’exposition de Patrick Neu, Palais de Tokyo (24.06 – 13.09 2015). Photo : André Morin. Courtesy Patrick Neu © ADAGP, Paris 2015.
L’entrée dans l’exposition nous plonge immédiatement dans l’univers raffiné de Patrick Neu. Rien de clinquant, aucune couleur criarde, pas d’installation monumentale… Les œuvres présentées sont minimes, aussi bien en taille qu’en nombre, l’artiste semblant vouloir s’éloigner de la logique productiviste ambiante. Une quinzaine d’œuvres compose cette exposition, parfois pas plus grandes que quelques centimètres comme « deux pattes de moineau », moulage d’une extrême précision, réalisé selon la technique de la sublimation*, tenant dans une boîte d’allumettes. L’attention du visiteur est donc fortement sollicitée par cet artiste qui travaille sur l’infiniment petit et la fragilité des matériaux alliés à l’utilisation de techniques anciennes, comme celles du souffleur de verre ou du forgeron. Dans ce parcours, Patrick Neu aborde les grands cycles de la vie, à travers la mort (reproduction de scènes bibliques) et la renaissance (série d’iris), conférant à son propos un aspect métaphorique.
Plus on chemine dans l’exposition, plus l’impression d’observer un travail d’orfèvre nous gagne. Son travail sur verre, dont plusieurs exemplaires sont présentés dans l’exposition, est très représentatif. Alliant délicatesse et technicité, Patrick Neu utilise des méthodes et des matériaux peu courants dans le monde de l’art (ailes d’abeilles, cristal, cire, suie sur verre, sculpture en encre de Chine, peinture sur cendre…), semblant faire l’apologie de la difficulté et redonnant de cette manière à la dénomination d’ « artiste » ses lettres de noblesse.
Pour sa série de verre, l’artiste fait appel au noir de fumée pour réaliser ses œuvres. L’erreur n’est pas envisageable, aucune retouche n’étant possible. Il utilise cette technique sur de nombreux ensembles, outres les verres, des armoires et des bibliothèques dont il recouvre les vitres des portes et des parois de fumée, ainsi qu’une armure réalisée en cristal ou encore une camisole de force en ailes d’abeilles inscrivant son processus de création dans le temps lent, celui de la nature. Comparable en ce point à un tailleur de verre ou plus généralement à un graveur, le travail de la matière de Patrick Neu remet au goût du jour ses techniques traditionnelles, qu’il détourne par le recours à des supports originaux (verre, mobiliers…), créant ainsi de nouvelles expérimentations et des œuvres d’une singularité totale.
L’aspect évanescent des œuvres et les techniques qu’utilisent Patrick Neu mettent en scène le thème de l’exposition. Que ce soit à travers son évocation de la nature (cf. sa série de dessins d’Iris, l’utilisation d’ailes d’abeilles, le moulage de pattes d’oiseau) ou dans ses reproductions des grandes scènes de l’histoire de l’art (Jérôme Bosch, Le jardin des délices (1503-1504), Holbein le Jeune, Le Christ mort (1521), Douanier Rousseau ou encore Rubens) illustrées ici dans son travail sur verre, Patrick Neu aborde un thème universel depuis la nuit des temps : la renaissance. L’ensemble de l’œuvre de cet artiste semble régie par ce thème. Patrick Neu paraît obéir à la seule loi de la nature, repoussant les innovations et technologies de notre monde actuel permettant l’accès et à la reproduction de n’importe quelle œuvre. Respectant les cycles naturels, Patrick Neu réalise chaque année, au début du printemps, une série d’iris, comme celle présentée dans l’exposition, preuve de son attachement au monde végétal.
En nous présentant une mémoire du monde extrêmement fragile et un travail sur la matière d’une finesse incroyable, Patrick Neu fait constamment naviguer ses visiteurs entre légèreté (des matières) et gravité (du sujet). Le Palais de Tokyo rend ainsi hommage au travail de cet artiste très discret en lui consacrant sa première grande exposition en France.
* sublimation : double en métal d’un objet périssable, végétal ou organique par exemple, qu’on ne souhaite pas nécessairement conserver. On enferme alors l’objet en question dans du plâtre réfractaire, puis on le calcine avec le métal en fusion, qui vient purement et simplement prendre sa place dans le moule.
Exposition à voir jusqu’au 13 septembre 2015