By: Anne-Laure Hérout | Publié le 07.08.2015
La nouvelle exposition du Bal a ouvert ses portes début juin et nous plonge dans un monde plus proche des archives que de l’art au premier abord. Découverte de cet univers plus en détail…
Alekseï Grigorievitch Jeltikov et Marfa Ilinitchna Riazantseva © Archives centrales FSB et Archives nationales de la Fédération de Russie GARF, Moscou.
Dans cette exposition, nous sont donnés à voir non pas des œuvres, ni des artistes au travers d’une exposition collective ou d’une rétrospective comme on pourrait s’y attendre, mais des images sans titre et sans auteur … dépourvues de toute recherche esthétique. Car là est l’enjeu même de cette nouvelle exposition, et de ce lieu même : Le Bal, jeune lieu de la vie culturelle parisienne (il fête ses 5 ans cette année), est entièrement dédié à « l’image-document ». Le support devient donc le cœur des expositions présentées ici, et dépasse le statut d’œuvre esthétique pour revêtir celui d’archive, c’est-à-dire d’un document produit pour témoigner.
« Témoigner » est véritablement le mot qui pourrait résumer cette exposition. L’image, dans les onze cas d’affaires policières et historiques présentés dans cette exposition, est utilisée comme témoin a posteriori, mais son usage diffère dans chaque exemple exposé ici. Tantôt utilisée comme simple illustration d’un fait passé tel que dans les scènes de crime, elle peut devenir parfois l’élément qui résout l’affaire non élucidée. Tout d’abord assignée à une fonction passive de témoignage, elle devient peu à peu la clé de voûte d’un système scientifique qui la transforme en « témoin » à part entière.
Ce changement de fonction pourrait se situer dans le milieu des années 1910, avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale, où pour la première fois, malgré de nombreuses réticences, la photographie aérienne devient source informative. Le second grand événement de cette période est très probablement la « Grande Terreur » qui sévit en URSS lors de la révolution d’Octobre de 1917 où Staline ordonne l’élimination de 750 000 russes. Chaque citoyen est alors photographié et chaque photographie, accompagnée d’une brève fiche biographique. Orchestrées pour leur valeur purement illustrative au moment des faits, ces images se révèlent aujourd’hui être des témoins visuels accablant contre l’un des premiers crimes d’Etat de masse perpétré au cours du XXe siècle.
La fonction scientifique de l’image au cours du parcours d’exposition s’impose de plus en plus. Aujourd’hui, l’image est au centre de tous les conflits et de tous les désastres, matériels comme humains, commis par l’homme contre lui-même. L’image constitue alors une pièce à conviction, utilisée dans tous les tribunaux et en tout premier lieu, en 1945, au procès de Nuremberg jugeant vingt-quatre des plus importants criminels nazis. Le recours à l’image, est plus précisément à la vidéo, a été au centre de toute la stratégie du procès intenté par les puissances alliées, à tel point que la salle du tribunal a dû être aménagée en fonction de cette donnée.
Le statut de l’image comme preuve n’est plus à prouver aujourd’hui. L’interrogation va au-delà de l’objet même : qui, aujourd’hui, peut produire de telles images ? Uniquement les autorités compétentes ? Le tout-venant grâce à son smartphone ? Une complémentarité des sources n’est pas à exclure, comme l’illustre le cas présenté dans l’exposition, d’une attaque de drone en 2013 au Pakistan.
« Images à charge » est une exposition factuelle à plus d’un titre, qu’il n’est plus besoin de rappeler. Il se dégage néanmoins de ces nombreuses images, une certaine poésie, probablement dû à l’accrochage très épuré et à l’abondance de photographies noir et blanc, conférant à l’ensemble une certaine harmonie proche de l’exposition d’art.